16 Septembre 2015
A l’heure où tout (ou presque) est accessible en permanence, en quantité infinie, sur tous les supports connectés, l’océan d’informations (ou de savoirs ?) déplace la connaissance de l’individu sur des supports numériques et la rend publique. Aujourd’hui, au-delà des « simples » connaissances, l’on retrouve à notre disposition sur la toile: des méthodes, des démonstrations, des plans, des guides, du savoir-faire professionnel, des cours complets... Est-ce à dire qu’au-delà des connaissances, chacun peut s’imprégner des compétences d’experts, se les approprier et se construire sa propre expérience ? Ainsi disponibles, ces connaissances et ces compétences s’externalisent de l’individu ? Peut-on déjà craindre qu’elles s’en échappent et scellent ainsi l'avenir de l'humain compétent ?
Cette question qui ne s’est pas encore posée ouvertement dans les sphères professionnelles, pédagogiques ou "webbiennes". Pour autant, elle mérite une réflexion approfondie.
Définition de la compétence professionnelle
Dans un précédent article , je développais la notion de compétence comme étant l’addition de 3 éléments : le savoir-faire + le savoir-être + l’expérience. Dans cette addition, le savoir dit « académique » se retrouve aussi bien dans le savoir-faire que le savoir-être. Prenons l’exemple de connaissances juridiques pour régider un contrat pour le savoir-faire ou la connaissance des bases de la communication interpersonnelle pour développer des capacités relationnelles pour le savoir-être.
Place du savoir
A la question « quelles sont les capitales européennes ? » , le collégien ou le lycéen de demain (ou d’aujourd’hui ?) est en droit de contester la nécessité de mémoriser ces informations sachant qu’avec un simple appareil nomade, l’information lui est accessible en quelques secondes… La contestation est légitime en soi… Bien sûr, certains diront très vite qu’il s’agit de culture générale, que l’on se doit de connaître un certain nombre de fondamentaux, etc, etc, etc. Qu’est ce qui justifie ce besoin de mémorisation ? Est-ce culturel, sociologique ? Est-on meilleur en fonction du nombre de connaissances que l’on est capable d’énumérer ? Existe-t-il des savoirs de base et des savoirs secondaires ? Quelle est la place de la connaissance de la compétence ?
Si l’on fait une analogie avec la technologie mécanique, un ouvrier qui découpe une planche à l’aide d’un outil électrique est-il moins bon ouvrier que celui qui sciait à la main ?
Qui n’a jamais entendu dire qu’un élève qui utilisait une calculatrice et qui ne savait faire le calcul à la main ne savait pas calculer ? Bien sûr, il y a une part de vérité ; pour autant qui peut encore croire qu’il n’y aura plus de calculatrice un jour ?
Qui pourrait jeter son smartphone et envoyer un message en morse ?
Qui saurait régler un cadran solaire, se repérer aux étoiles en bateau, tuer une proie à l’aide d’un arc et d’une flèche ?
Alors, ce qui paraissait une question dénuée de sens ou volontairement polémique, histoire de faire un papier...prend un sens particulier et fait réfléchir… L’universalisation de certains savoirs n’a-t-elle pas simplement priorisée les acteurs pour lesquels ces savoirs étaient nécessaires à leur métier, à leurs compétences et d'autres pour qui cela était accessoire ou juste une source de plaisir ?
Est-il légitime de « perdre » des connaissances et aussi des compétences en les déportant sur une technologie capable de les mettre en œuvre en obtenant de meilleurs résultats, car plus précis, plus sûrs, plus efficaces ? Des robots parviennent en toute autonomie à réaliser une opération chirurgicale sur un patient, sous la surveillance d’un humain… le robot a-t-il acquis la compétence ? est-il simplement le bras robotisé d’une compétence numérisée ?
Confiant dans sa technologie, l’humain peut avec le temps perdre cette compétence, l’oublier jusqu’à la voir humainement disparaitre. Peut-être !
Re-définition du savoir face à l’infobésité et la création de savoirs tiers
Depuis l’arrivée du Web 2.0 vers 2004, le web est participatif et collaboratif, il est social et créateur de savoirs. Ainsi, individuellement ou collectivement, le particulier (censé être le dernier maillon de la chaîne) se met à produire, à rédiger, à concevoir,… Il peut même devenir un exemple à suivre par le biais de son blog, de sa vidéo sur Youtube, par ses créations artistiques sur les lesquels il aura communiqué sur le Net !
Aussi, nos schémas éducatifs sont-ils directement remis en cause… La science appartenait à des institutions diverses (écoles, universités, laboratoires, corporations professionnelles) ayant toutes un point commun : elles étaient reconnues comme …
Le meilleur exemple est bien sûr Wikipédia, construit sur la contribution de tout un chacun, et qui supplante les Larousse et autres Robert… Wikipédia est devenu un socle de connaissances accepté, reconnu et recommandé…
Un jour ou l’autre le principe de la propriété intellectuelle va sérieusement se poser face à ces producteurs de savoirs volontaires et bénévoles grâce auxquels d'autres vont générer du profit.
Aussi, ces savoirs qui, bien que n’appartenant à personne (ou presque), étant confiés à des vecteurs de communication, tombent-ils dans le bien commun. Bien pire, chacun peut aujourd’hui prétendre être producteur de connaissances et diffuseur de compétences ; la limite étant là aussi sa reconnaissance par le plus grand nombre. Les murailles du château s’effondrent et la libre circulation est de mise… Faut-il un gendarme ?
En effet, la difficulté principale de l'internaute moderne devient de choisir ses sources d’information, de les croiser, les vérifier, les trier dans un océan d’information : l’infobésité…
Alors, un savoir universel ? Des savoirs reconnus ? Par qui ? Sur quels critères ? Se référer à l’article d’un bloggeur célèbre a-t-il moins de valeur qu’une revue spécialisée ?
De nouveaux modèles économiques ?
Au-delà de la problématique des connaissances et des compétences, l’Etat et les entreprises commencent à s’apercevoir que de nouveaux modèles économiques se développent en dehors des réseaux traditionnels. Le gouvernement s’est interrogé récemment sur la possibilité de taxer les ventes sur Leboncoin ; voyant un marché monstrueux leur échapper dans la vente entre particuliers. Des particuliers se regroupent dans des cafés et se proposent gratuitement de réparer un fer à repasser, un ordinateur. La location de matériels, d’outils, d’appartements ou de voitures entre particuliers se développe. Les plateformes collaboratives se créent tous les jours qui proposent informations, conseils, dons, ventes, etc. entre particuliers et pseudos-professionnels (des utilisateurs plus expérimentés)…
Il est évident que ces marchés sont autant de business qui utilisent des circuits nouveaux en dehors des structures organisées, mesurées, réglementées de notre économie.
Quel est l’avenir d’une société qui troque, qui échange, qui partage, qui donne sans désir de gains financiers, sans emplois à la clé, sans loi, sans limite ?
Doit-on déjà imaginer la société de demain comme une régulation de la société d’aujourd’hui ou inventer un nouveau modèle de société ?
Le digital est-il compétent ?
Si l’on reprend la définition du début de cet article, il est difficile d’imaginer la part « expérience » dans la compétence dite digitale. Le numérique ne perfectionne pas sa compétence avec le temps et c’est bien ce qui le différencie de nous…
Pour autant, des technologies acquièrent la capacité à analyser leurs résultats et à modifier leur comportement … on peut légitimement s’interroger sur une forme de compétence.
Au sens humain du terme, la compétence professionnelle ne peut pas être transférée au digital dans le sens où la capacité d’analyse consistant à construire ses critères dans un contexte déterminé risque d’être longue à développer.
Si le digital devient la mémoire de l’homme, mobilisable à un moment donné de l’action et s’il est lieu de connaissances, l’humain devient-il moins compétent ? Au sens actuel du terme, oui l'humain devient moins compétent.
Cependant si l’on considère l’évolution de l’homme et sa capacité à s’adapter, à construire dans des contextes différents et variés, si l’on attribue à l’homme seul la capacité à inventer, à imaginer, à créer en dehors de contraintes et de cadres établis, alors il ne faut pas s’en inquiéter.
Pour autant, nos institutions devront remettre en question la place du savoir dans nos structures éducatives. Gageons que les entreprises, elles, par leurs enjeux économiques sauront plus rapidement trouver des réponses à ces problématiques.