2 Juin 2021
Pourquoi traiter d'un tel sujet lorsque l'on s'adresse principalement à un public de formateur ?
Au delà du fait que la pédagogie (notamment active) est directement concernée par la distinction entre la théorie et la pratique, le formateur est confronté à ce conflit en permanence :
- lorsqu'il présente une approche théorique et que ses apprenants confronte son contenu à une expérience pratique et prétende que le formateur est dans l'erreur
- lorsqu'un apprenant n'est pas motivé par un cours théorique parce qu'il veut un apprentissage professionnel
- lorsqu'un salarié dit à un formateur qu'il ne connait rien à la "vraie vie" (expression commune chez de nombreux apprenants)
- lorsqu'un formateur se tire une balle dans le pied en corrigeant un exercice parce que l'explication demande une adaptation du cours théorique qu'il a fourni auparavant
- lorsqu'en atelier, un apprenant se plaint que son travail ne correspond pas à ce que le formateur avait annoncé
Bref, la liste est interminable !
Y a-t-il un conflit naturel entre théorie et pratique ?
Sont-ils deux éléments que tout oppose comme, je généralise, on nous l'a souvent fait croire ?
Ecolier, je ne mesurais pas vraiment cette distinction entre les deux, tout était théorie et la question de la mise en pratique ne se posait même pas.
Salarié, tout était pratique : dans la prise de fonction, dans l'acquisition de l'expérience, dans l'apprentissage du métier...
Jusque là, tout allait plutôt bien !
Le problème est apparu lorsque je suis retourné en formation (universitaire déjà) et le choc fut violent entre mon expérience professionnelle qui était ma vérité, donc LA vérité et un enseignant qui ne parlait que de théorie et ne comprenait rien à ma réalité...
Ma première réaction fut alors de rejeter le discours théorique en faisant confiance à mon autonomie pour réaliser mon apprentissage...
Cette situation a duré longtemps (j'ai même claqué la porte - et ce n'est pas une image - lors d'une soutenance de mémoire face à un universitaire en lui disant qu'il n'y connaissait rien et qu'on ne pouvait pas se comprendre).
Et puis, les hasards de la vie, un jour, une phrase prononcée par une universitaire qui avait aussi une activité professionnelle a tout déclenché. Elle m'a dit simplement "tu sais, la théorie, c'est avant tout une grille de lecture de la pratique".
Cette phrase a germé dans mon esprit et j'ai fini par comprendre la relation étroite et interdépendante entre la théorie et la pratique.
La question est maintenant de savoir ce que cela change dans ma posture de formateur
La pédagogie, comme de nombreuses sciences humaines, a cette particularité qu'elle contraint les acteurs à rechercher une vérité qui n'est en fait qu'une utopie...
Le meilleur formateur du monde n'embarquera jamais toute les personnes de son groupe, il faut s'en faire une raison.
Le "conflit" théorie - pratique c'est un peu la même chose... aucun des deux ne sera jamais une vérité absolue, chacun va permettre à l'autre de progresser, mais le résultat final n'existe pas... Pour autant, il faut avancer !
Et c'est bien la difficulté majeure lorsque l'on évoque le sujet avec des apprenants. Je l'ai synthétisé en leur donnant deux phrases :
1) La théorie n'a pas vocation à mettre mise en pratique
2) La pratique a forcément tort
De là en découle que la théorie est une grille de lecture pour analyser, comprendre et faire évoluer la pratique. La pratique est une réponse incroyablement pauvre car elle n'a raison que pour elle même et n'est pas transférable à un autre contexte.
Si la théorie est mise en pratique, le résultat sera différent du résultat attendu. Si on n'utilise pas la théorie pour analyser la pratique, on est incapable de réaliser une évaluation et donc de faire évoluer la pratique.
Il y a donc une interdépendance vitale entre les deux concepts.. La théorie peut être imaginée ou encore être le fruit de l'analyse de pratique. Pour autant, la théorie reste généraliste, elle ne vise à s'appliquer à un cas particulier. La pratique peut évoluer à la condition d'accepter qu'elle n'est qu'une vérité à un instant T et surtout, dans un contexte bien déterminé... Sortie de son contexte, la pratique ne vaut plus rien.
Bien sûr, lorsqu'un formateur dans un cours magistral annonce que la théorie n'a pas vocation à être mise en pratique, vous imaginez la réaction de stagiaires en formation professionnelle quant à la raison de votre présence et leur envie de vous écouter.
Aussi, pour faire passer ce message si important, j'utilisais l'image de l'installateur électrique qui doit installer un câblage à partir d'un plan. Ma question était alors : est-ce que je peux imprimer le plan sur une feuille transparente, et observer l'installation à travers sans qu'il y ait le moindre écart ?
Autre question : vous êtes perdus dans le montage d'un meuble, que faites-vous ?
Bref, vous l'avez compris, le formateur a un rôle important à jouer pour que ses apprenants mesurent l'interdépendance entre théorie et pratique et cessent de les opposer.
C'est un peu comme passer d'un apprentissage 2 D en version 3 D. En effet, dispenser un cours théorique que les apprenants acceptent potentiellement comme non-vrai relève un peu d'une autre dimension non ?
Pour finir, et pour aller un peu plus loin, certains vont me dire "si, pour analyser la pratique, il faut utiliser une grille de lecture théorique, cela pose un problème, car pour certains sujets, il existes différentes approches théoriques"............ Et ils ont raison !
D'où l'image très connue de la vieille dame ou de la jeune fille : comment souhaitez-vous observer la situation, sous quel angle ?
Vous souhaitez analyser une pratique ? Cherchez une approche théorique qui vous parle, qui vous permet d'évaluer dans le sens où vous le souhaitez et faites votre travail d'analyse... Complétez par une autre approche théorique si elle enrichit la démarche... Mais ne vous noyez pas dans trop de théories, au risque de perdre tout sens.
De toute façon, tout cela reste bien théorique n'est-ce pas ?